Sylvia Bataille dans Pour Vous 1936


Après notre hommage à Jacqueline Bouvier (Pagnol), nous avons décidé de consacrer ce post à une autre actrice marquante du cinéma français (mais qui hélas n’a pas eu Le grand rôle qu’elle méritait) : Sylvia Bataille.

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Justement l’année 1936 peut être considérée comme l’année phare de sa carrière. En effet c’est cette année là qu’elle tournera dans ce qui est son meilleur film, la Partie de Campagne de Jean Renoir. En début d’année elle avait également tourné avec Jean Renoir dans Le Crime de Mr Lange dans lequel elle tient un rôle emblématique. Et bien sur elle tient également un rôle remarqué dans Jenny, le premier film de Marcel Carné qui sortira le 18 septembre 1936 (mais nous y reviendrons).

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Voici donc les trois articles ou encarts que Pour Vous lui a consacré durant l’année 1936. Malgré leur aspect léger voire superficiel, ils nous donnent plusieurs indications sur elle, sa carrière, sa personnalité. Signalons qu’elle était la femme de l’écrivain Georges Bataille dont elle était séparée en 1936. Elle épousa le psychanalyste Jacques Lacan en 1954.

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Partie de Campagne de Jean Renoir ne sera jamais achevé et ne sortira que dix ans plus tard, le 18 décembre… 1946 ! (cf, l’article sur le tournage par Samuel Douhaire dans Télérama).

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Bonne lecture.

 

Au jardin, avec Sylvia Bataille

paru dans Pour Vous du 3 septembre 1936

 

L’Amoureuse d’Adémaï aviateur, la gaie camarade de Lisette Lanvin dans Rose, rentrait d’un petit séjour sur les bords du Loing lorsque je la rencontrai rue Cambon.
« Nous avons tourné Une partie de campagne près de Marlotte.
« Jean Renoir a, vous le savez, tiré son film d’une courte mais célèbre nouvelle de Maupassant. Comme il tenait à en restituer très exactement l’atmosphère il a dû en modifier la topographie. Cela peut paraître paradoxal, mais c’est comme ça. Maupassant, en effet, situait à Neuilly, Argenteuil et Bezons la journée campagnarde de ses héros. Pêcher à la ligne, s’asseoir dans l’herbe, écouter le rossignol, filer la romance dans ces localités encombrées d’usines, de lampadaires et de poteaux télégraphiques, eût été malaisé et aussi peu 1883 que possible.

— C’est pourquoi Jean Renoir vous transporta tous sur les berges fleuries du Loing ?
Voilà. Vous verrez à l’écran comme ça fait bien…
— Et vous ? Est-ce que vous faites bien ?
Quelle impertinente question !

— Telle que je vous vois, dans votre net petit tailleur marine à col blanc, vous ne représentez pas exactement la mélancolie… Mais qu’y a-t-il de changé en vous ? Vous me rappelez la Lucienne de Rose
Ne prenez pas un air innocent ! Vous savez parfaitement que j’ai repris mes cheveux bruns, mes vrais cheveux… Vous m’avez assez dit que le blond m’allait mal quand je m’étais décolorée pour Jenny. D’ailleurs, Jenny et Une partie de campagne sortiront presque en même temps ; on me verra ici brune et là blonde ; j’espère bien apprendre comment on me préfère.

— Pour moi, il n’y a point de doute ! Qu’écoutez-vous ? Il n’y a pas de rossignol dans ce jardin…
Il y a des pigeons. C’est eux que j’écoute. Leur roucoulement m’amuse.

— Vous amuse !… Vraiment, on ne peut pas dire que vous soyez élégiaque, jeune femme moderne. Et malgré cela vous aimez les animaux ?
Oui… s’ils sont très gais, très jeunes, très bien portants, s’ils sont beaux et s’ils courent… mais pas s’ils deviennent vieux, gros et laids… ils cessent de m’intéresser… j’ai eu un chat qui était devenu énorme, j’ai cessé de lui donner à manger…
— Quelle horreur ! Vous n’auriez pas pu le faire piquer, plutôt ? »

Elle fixe sur moi ses yeux clairs, indignés, stupéfaits :
« Le tuer ? Oh ! quelle horreur ! »

Déconcertante créature au sourire ambigu, cruelle et sincère. Est-elle inconsciente ou cynique ?
— Seriez-vous, d’aventure, douée pour jouer les grandes amoureuses ? »

Elle lève son limpide regard :
« Mon projet le plus proche, c’est pourtant de tourner Vous n’avez rien à déclarer, dit-elle. Et je crois que j’aimerai beaucoup ce rôle-là !… »

D. (Doringe)

Notice Bibliographique de Sylvia Bataille

paru dans Pour Vous du 14 mai 1936

Sylvia Bataille (c’est son nom) est née à Paris un Ier novembre de parents français d’origine  roumaine. Ne répond pas souvent, bien qu’elle ait toujours l’intention de répondre.

Adresse : rue Voisembert, 6, Issy-les-Moulineaux (Seine).
Particularités physiques et morales.

— Taille : 1 m. 64. Poids : 51 kgs 700 (il y a quinze jours). Brune de nature (voir Rose), blonde depuis Gorri le Forban ; se prépare à rebrunir si les metteurs en scène le permettent .Yeux gris vert, pupille étonnamment dilatable, comme celle des chats. Bon caractère.
Douce avec des explosions. Gourmande : n’a maigri qu’après une angine… qu’elle avait presque provoquée pour arriver à la diète obligatoire. Trop femme pour n’être pas un peu menteuse. Aime assez la toilette, ça l’amuse de choisir, de s’habiller, de changer. Coquette dans ce sens-là ; pour le reste, plutôt bon garçon. Aimerait, en principe, journées de paresse, mais engraisse aussitôt. Alors, pour se consoler du lever tôt, se dit que ça l’ennuierait certainement si elle pouvait faire trois jours de suite la grasse matinée. En somme, philosophe à sa façon. Se promène : la marche assure la ligne. De plus, aime le spectacle de la rue. Va au cinéma. Lit. Nage. Fantasque et fantaisiste. Aime les enfants et les animaux. A quatre petits oiseaux des Iles et une fillette de cinq ans, Laurence, qui fait tout ce qu’elle veut : Sylvia a confiance en sa bonne nature… Aime le bleu pâle et le blanc.

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Sa vie.

— Etudes à l’école Villiers, puis au collège Sévigné. Excellente élève par crises ; jamais mauvaise élève : quand la classe lui déplaisait, s’abstenait d’y aller. Sitôt finie sa dernière année de collège et passé son bachot, se marie. L’année suivante elle a Laurence.

Après quoi elle fait du théâtre dans la Compagnie des Quinze. Débute dans Le Lanceur de graines, de Giono.
Joue des pièces d’André Obey, Loire, Le Viol de Lucrèce, Vénus et Adonis (adaptées, ces deux dernières, de poèmes de Shakespeare), Violante, d’Henri Ghéon.

Part pour Londres. Crée avec Pierre Fresnay le Don Juan d’Obey. Paris. Bruxelles. Reçoit un télégramme la convoquant pour débuter… Au cinéma.

—- Commence par un petit rôle dans La Voix sans visage, à côté de Vera Korène, Jean Servais, Simone Bourday et Muratore. Puis, Adémaï aviateur, avec Noël-Noël, Fernandel et Madeleine Guitty. Elle est la fiancée dont Adémaï ne veut pas. Arrêt comme dans la plupart des carrières. Reprise : un ou deux films sans importance. Puis ça repart. Son Excellence Antonin, Rose, Le Crime de M. Lange, Topaze, avec Marcel Pagnol. Elle est Mlle Muche. Gorri le Forban, Jenny.
Va tourner en juin, avec Jean Renoir, Une partie de campagne, qui demande beaucoup de feuilles aux arbres, du beau temps, de la chaleur. Aimerait refaire du théâtre, sans quitter le cinéma.

Doringe

Sylvia Bataille

Finalement on la retrouve dans en octobre Pour Vous dans l’article ” Visages nouveaux, vedettes de demain ” aux côtés de Odette Joyeux, Ginette Leclerc, Mila Parely et Junie Astor.

Sylvia BATAILLE

paru dans Pour Vous du 22 octobre 1936

Ses grands yeux limpides, dans ce visage frais et rond de poupée, sont ce qu’on remarque tout d’abord chez Sylvia Bataille ; des yeux gris vert, clairs et brillants, étonnés et candides qui paraissent incapables de rien cacher.

Elle est d’ailleurs d’une sincérité parfois déconcertante, très vive, aussitôt enthousiasmée et prête à l’action immédiate. Mais quand elle rit — elle, aime être gaie — son sourire malicieux s’accompagne d’un plissement rusé des paupières…
Par un singulier contraste, son premier rôle important au cinéma fut celui de la petite paysanne, balourde et peu gracieuse fiancée d’Adémaï aviateur. Depuis, on l’a vue dans Rose, Topaze, Le Crime de M. Lange. Blonde chanteuse de Jenny, elle a retrouvé pour Une partie de campagne, de Jean Renoir, ses cheveux naturellement bruns, qui lui vont indiscutablement mieux.

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Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse

 

Pour en savoir plus :

Un article sur le tournage d’Une Partie de Campagne sur le site de Télérama.

Photographie de Sylvia Bataille par Denise Bellon pour une critique du livre qui lui a consacré Angie David sur le site de Télérama.

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La bande annonce de la ressortie du film en 2014.

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La fameuse scène de la balançoire d’Une Partie de Campagne.

 

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