Henri Langlois : Pour un Musée du cinéma (Comoedia 1936)


Il était temps que La Belle Equipe rende hommage à Henri Langlois sans qui la plupart d’entre nous ne seraient pas là.  Sans ce pionnier de la conservation des films et des archives cinématographiques, que resterait-il en France de ce patrimoine ?

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C’est le 2 septembre 1936 qu’Henri Langlois, avec Georges Franju, Paul-Auguste Harlé et Jean Mitry, fondent la Cinémathèque française dont nous allons fêter prochainement le 80°anniversaire. Un an auparavant, ils avaient créé le ciné-club, le Cercle du Cinéma, spécialisé dans les films de répertoire. Ils se réunissaient tous les vendredis au 33 avenue des Champs-Elysées dans la Salle F.I.F.

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En parallèle de leurs souhaits de créer une Cinémathèque française, il leur était important aussi de créer un Musée du Cinéma. Voici donc le texte inédit d’Henri Langlois paru dans le quotidien Comoedia (octobre 1936) qui ne figure pas dans l’édition Ecrits de Cinéma d’Henri Langlois paru en 2014 aux Editions Flammarion.

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Nous l’avons mis en perspective avec d’autres articles parus dans Comoedia cette année là relatif à ce Musée du Cinéma et au Cercle du Cinéma.

Signalons que ce Musée du Cinéma qu’appelait de ses voeux Henri Langlois ne verra pas le jour avant le… 14 juin 1972 dans le Palais de Chaillot au Trocadéro à Paris.

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Bonne lecture.

 

Comoedia du 01 octobre 1936

Comoedia du 01 octobre 1936

POUR UN MUSÉE DU CINÉMA

“La Cinémathèque Française” en plein accord avec M. Jean-Emile Bayard

paru dans Comoedia du 01 octobre 1936

A la suite des suggestions de M. Jean Emile-Bayard, parues ici même, nous recevons la lettre suivante de M. Langlois, qui préside aux destinées de la Cinemathèque :

Je viens de lire l’intéressant article de votre collaborateur Jean Emile-Bayard intitulé : A quand la création du Musée du Cinéma français ?
C’est une idée excellente et au nom de la Cinemathèque française, nous y souscrivons de tout coeur.

Gomme vous ne l’ignorez pas, tous les appareils cinématographiques de Marey à nos jours, ainsi que les bandes et documents de Démery, Reynaud, Lumière sont conservés et exposés au Musée des Arts et Métiers où chacun peut les voir. Il n’y aura donc qu’à obtenir le transfert de ces documents des Arts et Métiers au futur musée du cinéma pour que le département industriel soit constitué.

D’autre part, je ne vous apprends pas la création de la Cinémathèque française par l’association des membres les plus importants de la corporation (metteurs en scène, producteurs, distributeurs, décorateurs, acteurs, opérateurs) dans le but de recueillir, d’entretenir et de permettre la vision des films hors d’exploitation.

Comme vous le savez, la Cinémathèque française, qui a pu recueillir déjà un assez grand nombre de documents ayant trait au cinéma (maquettes, affiches, manuscrits, photos, etc.), a réuni en outre, à quelques exceptions près, tous les films caractéristiques du cinéma français. Négatifs et positifs existants de bandes de l’Ecran d’Art, de L’Assassinat du Duc de Guise aux essais d’Abel Gance et de Louis Delluc ; de l’Union des premiers films de Cohl et des sérials de Jasset et Tourneur aux œuvres de Germaine Dulac ; productions de la S.C.A.G.L., de L’Eclipse, de Pathé-Consortium, depuis les films de Capellani, d’Antoine, de Pouctal et de Baroncelli aux premiers documentaires de Dreville. On y compte aussi certaines productions Gaumont, œuvres de Feuillade, Léonce Perret et les pièces les plus belles de Marcel L’herbier; l’œuvre de René Clair, de Jean Epstein, de Jacques Feyder, de Duvivier, de Starewitch, de Kirsanof, de Volkoff,  de Hervil, de Boudrioz, de Chômette, de Lacombe, de Renoir, etc. plus des bandes étrangères et des films français envoyés de l’étranger grâce aux échanges établis avec les cinémathèques d’autres nations ; films de Méliès, Emile Cohl, Zecca, Fritz Lang, Griffith, etc.

Ce qui lui permet d’inscrire à son catalogue la plupart des classiques de l’écran : Fièvre, La Fête espagnole, Kean, Paris qui dort, Visages d’enfants, Le Voyage dans la Lune, La Belle Nivernaise, Nana, Le Ballet mécanique, La Zone ou A travers l’Orage.

Dans quelques semaines, la Cinémathèque française tiendra à la disposition des universités, écoles, associations qui lui en feront la demande une suite de programmes retraçant l’histoire du cinéma français par les films français à la seule condition qu’il s’agira de séances n’ayant, aucun but lucratif et organisées uniquement pour des fins artistiques et pédagogiques.

Je crois donc que la Cinémathèque française peut parfaitement assumer le rôle de département artistique.

Pour que le Musée ou la Cité du Cinéma soit une réalité, il ne reste plus donc qu’à organiser le département commercial qui est prévu et à trouver l’argent nécessaire à sa construction, à son entretien et à son fonctionnement.

La France sera dotée alors d’un établissement unique en Europe, dépassant tout ce que nos voisins ont tenté dans ce sens, et le seul qui puisse rivaliser avec The Film Library de New-York, qui, comme vous le savez, n’a pu être que grâce à la fortune des Rockefeller.

LANGLOIS

Ce qui ressort de plus net de cette belle lettre est, à notre sens, un urgent besoin de collaboration, d’unité.
Tous les éléments nécessaires à l’édification du Musée du Cinéma existent : éléments industriels aux « Arts et Métiers », éléments artistiques à la « Cinémathèque française ». Or, cette dernière met la meilleure volonté à se dévouer à l’avance à l’oeuvre créatrice suggérée par notre collaborateur Jean Emile-Bayard. Peut-être ne dépendrait-il que d’un coup de plume des Beaux-Arts et de l’Education nationale pour qu’elle soit réalisée immédiatement. Ce serait une occasion unique de nous assurer une gloire qui doit d’autant plus nous toucher que son but apparaît plus désintéressé et plus utile à la culture et à l’éducation.

Pierre-J. Laspeyres (Pierre-Jean Laspeyres)

 

Henri Langlois fait référence au début de cet article de Jean Emile-Bayard paru, quelques jours avant, le 26 septembre 1936.

Comoedia du 26 septembre 1936

Comoedia du 26 septembre 1936

A QUAND LA CRÉATION DU MUSÉE DU CINEMA FRANÇAIS. Si les milieux intéressés ne le fondent point, l’Etat le fera.

paru dans Comoedia du 26 septembre 1936

On en parle et reparle ! C’est ainsi que M. Léo Deglesne, dans la Griffe, suggère — après d’autres ! — la formation d’un Musée (digne de ce nom!) du Cinéma français.

Il faut que cette industrie nouvelle — à laquelle collaborent toutes les techniques et tous les arts — possèdent son « centre » historique. Selon notre confrère, on pourrait d’abord diviser ce musée (à créer) en département industriel. On y réunirait la plupart des appareils du mouvement des images : hénekistoscopes, kinétoscopes, praxinoscopes, stroboscopes et chrono-photographies, etc. Marey et les frères Lumières, en tête des savants, inventeurs et précurseurs, y occuperaient une place d’honneur. Appareils de prises de vues et pour la couleur, le son et le relief y voisineraient. Quant aux studios et laboratoires, ils y figureraient, du plus modeste au plus moderne.

Selon M. Léo Deglesne, le département commercial serait surtout consacré à la « sortie » du film. D’autre part, les salles d’hier et celles d’aujourd’hui y seraient étudiées. Leur architecture et décoration, leurs dégagements; la publicité de diffusion et celle sur l’écran, — en un mot, l’exploitation cinématographique, sous tous ses aspects, — seraient présentés et commentés.

Quant au département artistique, il serait consacré notamment aux auteurs, réalisateurs, metteurs en scène, compositeurs et artistes. Par ailleurs, les décors, les costumes et accessoires ne seraient pas oubliés !

Ce département comprendrait une « cinémathèque » où les films, de tous pays, et de tous genres, trouveraient place.

Si l’Etat ne peut donner les crédits indispensables à la réalisation d’un Musée du Cinéma — qui vivrait avec les droits d’entrée, les présentations de films célèbres et rétrospectifs, les subventions et les prêts ou locations — qu’attend l’initiative privée ? Si la Chambre syndicale, si les groupements corporatifs du Septième Art, si les mécènes ne jettent pas, à Paris, les premières fondations du Musée du Cinéma ce sera — et les milieux intéressés l’auront bien voulu… sans le souhaiter ! — l’Office du Cinéma s’il se fonde – qui y présidera !.

Et alors ! L’Union fait la force lorsqu’elle est mise au service de la raison et de l’Humanité créatrice !

Jean Emile-Bayard

A la suite de l’article d’Henri Langlois du 1 octobre 1936, ce journaliste de Comoedia publie celui-ci quelques jours plus tard pour appuyer la création de ce futur Musée du Cinéma à Paris.

Comoedia du 10 octobre 1936

Comoedia du 10 octobre 1936

POUR UN MUSÉE DU CINÉMA. Une lettre de M. Gaston THIERRY dit combien la réalisation en est ardemment souhaitée

paru dans Comoedia du 10 octobre 1936

A la suite de plusieurs articles parus dans Comoedia et de la publication d’une lettre de M. Langlois au sujet de l’aide que pourrait apporter la « Cinémathèque Française » à la constitution d’un Musée du Cinéma, nous recevons une lettre de M. Gaston Thierry, chef de la rubrique cinématographique de Paris-Soir, que nous nous faisons un plaisir d’insérer :

J’ai lu avec le plus vif intérêt les suggestions de M. Emile-Bayard pour un musée du cinéma, ainsi que la lettre de M. Langlois, qui préside aux destinées de la cinémathèque.
Je me permets de rappeler à ce propos que le 21 avril dernier, dans Paris-Soir, sous le titre: « Nous allons avoir un musée du cinéma », je louais comme il convenait la perspective de voir enfin réaliser cette institution si utile. J’avais même demandé à nos lecteurs des suggestions sur ce que devrait contenir le musée du cinéma et j’ai reçu quelques lettres très intéressantes.
D’autre part, le 25 avril, sous le titre : « Monsieur le Ministre, voulez-vous de l’argent ? », j’indiquais que la création d’une cinémathèque pouvait être pour l’Etat une source très intéressante de revenus.
Enfin, le 15 septembre, sous le titre: « Une bonne idée », j’ai porté à la connaissance du public l’initiative de MM. Langlois, Harle, Mitry et tutti quanti.
Ceci n’a nullement pour but de revendiquer un quelconque droit d’auteur sur l’idée de la création d’un musée du cinéma. Je voulais simplement vous faire connaître que s’il s’agit de travailler à sa réalisation, je suis de tout cœur avec vous.

Ainsi donc, de toutes parts, les encouragements, les conseils, les vœux soutiennent cette entreprise. Avec juste raison, croyons-nous : car cette unanimité, ces efforts démontrent combien cette création apparaît urgente et nécessaire aux esprits les plus avertis et les mieux instruits de la question. Nous le disions l’autre jour: il y a une place à prendre.
Nous n’avons pas le droit, en ce pays, berceau du cinéma, de la laisser revendiquer par n’importe qui.

Les réponses reçues par M. Thierry montrent que le public ne tient pas la chose pour négligeable ; son article démontrant au ministre la source de revenus ainsi créée ne devrait qu’apporter une aide initiale de l’Etat. De son côté notre collaborateur Jean-Emile Bayard a surabondamment noté les avantages spirituels d’une telle démarche. Pouvons-nous, à notre tour, indiquer quelques suggestions d’ordre pratique ?

Le meilleur lancement du Musée du Cinéma serait d’en faire coïncider la création avec l’ouverture de l’Exposition de 1937. Toutes les nations représentées à cette manifestation pourraient ainsi acquérir la conviction que la France ne néglige aucun des moyens de culture internationale parmi lesquels prend maintenant place le cinéma, avec une force, une persuasion que personne ne saurait nier. Qu’est-il nécessaire de prévoir pour ce faire ? Un local, et c’est tout, étant donné que tous les éléments constitutifs existent déjà.

Comment en assurer l’édification ?
Evidemment, par des capitaux. Qui les fournirait ? Le commerce (le cinéma est une industrie), l’éducation nationale (le cinéma est un enseignement collectif), les beaux-arts (le cinéma est l’un d’eux), la ville (le cinéma paie sa large part de taxe municipales), l’exposition (le cinéma est l’une des plus puissantes attractions populaires), les chambres syndicales, les groupements cinégraphiques, les concours désintéressés des professionnel, et même, sans doute, quelques mécènes, ce qui n’est pas impossible puisqu’aux U. S. A. les Rockfeller l’ont bien fait.

Un palais n’est pas nécessaire. Il suffirait d’un local digne, comportant 3 ou 4 sections (industrielle, cinémathèque, salle de projection, peut-être un salon de « curiosités »). Après la clôture de l’Exposition le Musée resterait sur pied, comme par exemple le Musée permanent des Colonies.

Enfin on pourrait y adjoindre des archives et un bureau de centralisation de toute la corporation. Il y a longtemps que ce vœu d’une « Maison du Cinéma » a été émis ; il est invraisemblable que tout renseignement visant la documentation ou l’information cinématographique nécessite des heures de recherches.

Instrument de centralisation corporative, organe de coopération intellectuelle internationale, source de revenus dans lesquels l’Etat récupérerait au centuple son appui de la première heure, le Musée du Cinéma — la lettre de M. Gaston Thierry en fait, à nouveau, foi — est une œuvre pour l’instauration de laquelle tout le cinéma doit lutter.

Pierre-Jean Laspeyres

Pierre-Jean Laspeyres avait de la suite dans les idées car il prêchait déjà pour un Musée du Cinéma dans cet article paru en début d’année 1936.

Comoedia du 26 janvier 1936

Comoedia du 26 janvier 1936

L’Exposition de 1937 fournira-t-elle l’occasion de créer à Paris un Musée du Cinéma ?

paru dans Comoedia du 26 janvier 1936

De passage à Berlin où il est allé représenter la presse française du Cinéma, notre président, M. Jean Chataigner a rapporté de fortes impressions sur l’organisation allemande du Septième Art.
Son attention a surtout été frappée par la visite des studios de Neubabelsberg et de Tempelhof. A Neubabelsberg, les journalistes de douze nations furent émerveillés par la visite d’un musée du Cinéma, véritable histoire visuelle de l’art et de l’industrie du Septième Art.

Pourquoi ne pas avouer que cet exemple mériterait d’être suivi ?
L’occasion, l’argent peut-être, seraient fournis par l’Exposition de 1937. Il ne doit pas être très difficile de le prévoir et de le vouloir.

Chez Lumière, chez Gaumont, chez Pathé, chez Debrie, ailleurs, il y a des machines et des documents. Des particuliers même se feraient un plaisir d’ouvrir des dossiers, de donner des livres, des lettres, des manuscrits. Les bonnes volontés ne manqueraient pas et l’invention du cinéma est encore assez proche de nous pour que l’inauguration d’un Musée permette un regroupement de toutes les valeurs présentes et passées de nos techniciens et de nos artistes.

Partout ailleurs, le Cinéma connaît de grands efforts, construit, invente, lutte contre la crise. Sommes-nous si démunis qu’il faille constater la carence complète de nos sociétés qui ne devraient pas toujours attendre l’appui de l’Etat pour agir ?

 J.-P. L.

Nous vous proposons en bonus, ce texte qui date de quelques semaines précédant ceux que vous venez de lire, toujours paru dans Comoedia, illustrant les débuts de la Cinémathèque française.

Comoedia du 10 septembre 1936

Comoedia du 10 septembre 1936

AVEZ-VOUS 400 francs ?

Vous pouvez acheter « L’IMAGE » de Jacques Feyder, cependant que 20 ans après Méliès va revoir ses premiers films grâce à la « Cinémathèque Française »

paru dans Comoedia du 10 septembre 1936

Comoedia, le premier de toute la presse, a publié, l’hiver dernier, un répertoire, dressé par Maurice-J Champel, des meilleurs films de la production mondiale, depuis les origines jusqu’à nos jours. On sait, d’autre part, que diverses tentatives avaient été faites, çà et là, pour constituer une cinémathèque des chefs-d’oeuvre de l’écran. La patience a du bon ; et peut-être allons-nous enfin toucher au but. Voici qu’en effet, et cette fois sérieusement, on s’en occupe.

Ce sont les mégalomanes et les marchandes à la toilette qui sauvent les civilisations et aussi les arts d’un complet naufrage.

Ceci dit, qu’il me soit permis de vous présenter une espèce assez curieuse de l’univers cinématographique : celle des « revendeurs ».

Ce nom est assez explicite en soi : les « revendeurs » achètent au KILO de vieux films dont la carrière commerciale est terminée, après quoi, ils les débitent, au mètre, cette fois, aux marchands forains chargés d’enchanter une fois l’an, les bourgs et les villages en état de frairie, avec la lanterne magique du nouveau monde, — celle dont les images bougent, s’agitent, trépignent, et s’étreignent entre deux sous-titres.

Les revendeurs ne savent pas ce qu’ils achètent et se moquent de ce qu’ils vendent : ce sont les utiles crocheteurs de poubelle du Septième Art. Et ceci ne serait rien si, une fois livrés aux forains, les films n’étaient perdus pour nous corps et biens : après deux ans de vie errante et de projection sur des appareils de fortune, ils sont, en effet, inutilisables, déchirés, crevés, « bousillés ».

Or, et c’est là que les fous interviennent, il est en France, deux jeunes gens qui aiment d’amour les vieilles pellicules et se sont, depuis près d’une année, dévoué à leur cause, faisant le sac des maisons de cinéma en faillite et celui des boutiques de revendeurs ; ils sauvèrent ainsi quelques chefs-d’œuvre.

Caligari leur fut vendu 300 fr. très exactement, cependant qu’ils prospectaient pour moins encore les films égarés de Germaine Dulac et de Delluc, la Souriante Mme Beudet, la Coquille et le Clergyman, Fièvres.

Grâce à eux, une Cinémathèque française existe légalement depuis quelques jours sous l’égide de la Cinématographie française.

Cette cinémathèque s’est donnée pour but de sauver les vieux films, de rassembler les nouveaux, de permettre le perpétuel échange de documents étrangers et français.

Déjà elle à obtenu de la Cinémathèque Américaine, sise, comme vous le savez, dans le fameux Rockfeller Center new-yorkais, une copie du Paris qui dort de René Clair, exilé aux îles d’Amérique depuis quelque dix ans et dont on avait perdu la trace.

De même, Méliès, ce Robert Houdin du premier cinéma qui était un feu d’artifice d’images ridicules, lancées à fond de train sur des pistes de toile à sac et de papier peint, Méliès, dont les œuvres, les chefs-d’œuvre avaient disparu, capturés par quelque Yankee amateur de burlesque, va récupérer les films qu’il tourna il y a vingt ans.

La France s’apprête à adresser en contre-partie, en Amérique, les dernières copies de la Chute de la Maison Usher, Fièvres, la Femme de nulle part, Nana de Jean Renoir, etc., tandis que dans quelques semaines nous pourrons, grâce à elle, voir Intolérance de Griffith, les Rapaces de Stroheimles Nuits de Chicago, prêtés par l’Amérique.

Dès aujourd’hui un grand nombre de producteurs ont offert leurs collections à la Cinémathèque. Demain, tous les metteurs en scène lui donneront au moins une des copies de travail de leurs  oeuvres.

Avec le peu de fonds dont ils disposaient, nos deux jeunes hommes, épris de pellicule, ont pu rassembler toutes les œuvres de Jean Epstein, à l’exception de Finis Terrae, toutes celles de Germaine Dulac tous les grands classiques russes, tous les Bunuel dont le surréalisme demeurera l’assez brûlant témoignage d’une génération absurde. Tous les Feyder, et c’est là que l’affaire devient tragique, tous les Feyder (Gribiche, Carmen, Visages d’enfants), tous, vous dis-je, sauf un, l’Image.

Mais rejoignons les revendeurs et grossistes de pellicule défraîchie.

L’Image appartient, en effet, à l’un quelconque de ces involontaires conservateurs de beauté, lequel la cédera pour 400 francs, pas un sou de plus (il est un peu plus long, à tout prendre, que Caligari).

N’étant point d’humeur patiente, il le livrera, faute d’acheteur, à ses habituels clients, forains du Nord ou du Midi. Nos jeunes amis ne possèdent point les 400 francs nécessaires à la transaction et personne encore ne s’est porté acquéreur, sauveur d’une des plus grandes œuvres du cinéma-enfant.

Cette petite histoire est rien moins qu’un drame, un vrai. A vendre pour 400 francs, L’Image ne trouve point d’acquéreur ? et personne ne s’indigne, et il n’est pas un de ces snobs qui hantent les clubs, et se gargarisent de pauvres chefs-d’œuvre arrachés au silence des caves des maisons de production pour tenter de rescaper une œuvre de Feyder ? PERSONNE.

Simone Dubreuilh

Et pour finir voilà l’article de Comoedia célébrant les débuts du Cercle du Cinéma, le ciné-club fondé par Henri Langlois, Georges Franju et Jean Mitry.

Comoedia du 20 janvier 1936

Comoedia du 20 janvier 1936

HEUREUSE INITIATIVE
Quand le Cercle du Cinéma prépare les Classiques de l’Ecran

paru dans Comoedia du 20 janvier 1936

Chacun sait ça : le Septième Art ne manque ni d’artistes, de tous genres, ni de techniciens. Surtout, le Film français, si riche, si nombreux en talents de quantité et de qualité ! Seulement, ce qui lui fait notamment, défaut, c’est, l’unité. Aussi bien, ne peut-on que saluer avec sympathie — et sans la moindre ironie – l’intelligente initiative, toute directe, prise — et en voie de réalisation — par ce nouveau Club : le Cercle du Cinéma.

De quoi s’agit-il ? De faire connaître et aimer davantage — chaque jour — le Septième Art, du point de vue « art classique » et vivant.
Au reste, nos amis Jean-Pierre Liausu et Rognoni — et d’autres après eux — ont réalisé en partie cette idée en créant le Cinéma universitaire.

Donc, ce groupement — et souhaitons qu’il ait de la suite dans les idées — donnera hebdomadairement pour commencer — sous le signe intellectuel de la Sorbonne — des films d’inspiration documentaire et comptant réellement dans l’histoire du Cinéma. Cette initiative délicate et féconde contraindra, le Cercle du Cinéma à acheter des copies de films célèbres. Souhaitons que la production française soit à l’honneur !
Des soirées suivront avec débat.

Il paraît — ceci est entre nous — que ce groupement disposera bientôt d’un certain nombre de copies de bons films. Il aurait l’intention, d’autre part, de se constituer une Cinémathèque et cela— nous apprend M. Pierre Ducrocq, grâce à des recettes intégralement réservées à cet usage. Ordre et méthode, esprit critique et travail : bravo !

En attendant, le Cercle du Cinéma ne possède ni salle, ni spectateurs, ni répertoire digne de ce nom. Cela viendra ! Partant, félicitons et encourageons — sans les citer, car ce sont eux ! des modestes ! — ses animateurs. Ce groupement — qui remémore les beaux temps du Film muet du Cinéma des Agriculteurs — a donné, ces jours-ci, sa première séance privée dans une salle de l’avenue des Champs-Elysées.

Jean Emile-Bayard

Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

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Henri Langlois et Georges Franju

source de la photographie  : DR Cinémathèque française.

Pour en savoir plus :

La page de la Cinémathèque française sur l’exposition Le musée Imaginaire d’Henri Langlois en 2014.

Le très beau site chronologique sur Henri Langlois notamment cette page sur la création de la Cinémathèque française le 2 septembre 1936.

Le sujet sur Le musée du cinéma à Chaillot diffusé au Journal Télévisé de 20h le 09 juil. 1972.

 

 

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