Sacha Guitry sur le tournage de Désiré (Pour Vous 1937)


Un mois avant la sortie du film, Pour Vous publie cet article écrit par André Arnyvelde lors du tournage du film Désiré de Sacha Guitry qui sort le 3 décembre 1937.

Nous publions également un entretien de Sacha Guitry publié dans le quotidien Paris-Soir le 21 novembre 1937. A lire ici.

 

Pour Vous du 3 novembre 1937

Pour Vous du 3 novembre 1937

Metteurs en scène en liberté, Sacha Guitry : Gros Plan

paru dans Pour Vous du 3 novembre 1937

Cet homme, invisiblement chamarré de la gloire contemporaine la plus unanimement consentie, n’avait de cesse que ne fussent allumées les six bougies de deux appliques aux ornements de cristal, fixées de chaque côté d’une glace, au-dessus d’une noble cheminée de carton. Un accessoiriste les ayant mal allumées, Sacha Guitry tira sa petite boîte de suédoises et les ralluma. Ce faisant, il mimait des lèvres les phrases qu’était en train de dire Mlle Delubac, assise non loin de la cheminée, auprès de M. Jacques Baumer. Sitôt les six petites flammes de cire assurées, M.Guitry, comme disait tout le monde, sur le plateau, fit deux pas et rectifia la position d’un coffret de cigarettes, sur un guéridon.
Puis, avec un même flegme apparent, étira un pli de la jupe de Mlle Delubac.

Comme celle-ci disait à ce moment, à Baumer : « Un peu de chartreuse, mon chéri ? », Sacha posa successivement, sur chacun des trois flacons de pseudo-alcool d’un cabaret de citronnier devant lequel se tenait Mlle Delubac, un doigt qui hésita un vingtième de seconde sur chaque flacon, avant de s’arrêter sur celui de la chartreuse.
Puis il suivit ce geste, répété par Mlle Delubac, en battant l’air des doigts, comme un chef d’orchestre à un accord du violon ou de la flûte.

Il allait et venait, maniant cent menus détails, accessoires de la mise en scène, inflexions de voix de ses interprètes, avec la méticulosité d’une première passant devant les tables de l’atelier de couture, d’un contremaître devant les établis. Pas un geste plus vif qu’un autre, pas un tapotement d’humeur du pied. Cependant, pas un point du décor, pas un objet, non plus qu’un geste des comédiens ou du personnel que n’enregistrât le regard, parfaitement placide, sous de grandes lunettes, de temps en temps relevées sur le front, le plus souvent en biais, un verre au-dessus du nez, l’autre au-dessus de l’oreille.

Un professeur de quatrième, dictant son cours d’histoire ou de littérature, en déambulant devant la chaire, tel M. Guitry, en veston, faisant répéter au studio l’un de ses ouvrages, impassible et délié au plus grouillant des allées et venues d’électriciens, d’assistants et d’accessoiristes.
Il dit : « C’est à moi. Je vais me maquiller. »

Il réapparaît bientôt, sanglé dans l’uniforme noir mat d’un valet de chambre venu du bureau de placement pour se présenter. Souliers vernis à élastique, col droit, nœud de cravate noir, cheveux blonds, en soie, de rustaud. La face, rose de pâte pour sunlights, est celle d’un cocher d’évêque ou d’un maître d’hôtel pour clientèle du dimanche, en banlieue : le nous ne savons quoi de grossièrement salace, de servile et de vaniteux qui se lit souvent sur ces faces-là. Sacha traverse le plateau du pas lourd et componctueux qui convient à ce valet allant affronter de futurs maîtres, mais s’arrête devant Mlle Delubac qui a décroché le téléphone, à une petite table :
Il indique de la tête : « On ne répond pas. »
Il suit le mouvement, le mime du regard. Le temps d’un éclair, le visage de Sacha Guitry se dessine dans la face du larbin, puis :
Bon.
Plus de maître d’hôtel ni de cocher, malgré la perruque, l’uniforme :
Vous y êtes ? Allons-y !

Pour Vous du 3 novembre 1937

Pour Vous du 3 novembre 1937

Sacha vient au milieu du plateau. A demi marche, il s’est rencontré dans la glace d’au-dessus de la cheminée. Il est redevenu Désiré.
Un pas au delà de la glace. Sacha Guitry est revenu. Il embrasse le plateau de son regard flegmatique et précis de tout à l’heure.
Allons-y !
Et s’assied. Assis, un peu tassé sur soi, le valet de chambre a l’air d’un matois notaire de province.
Non… Baumer, avancez dès que Jacqueline lève la tête…
Le notaire s’est changé en capitaine au long cours. On donne la lumière. On va tourner.
Un instant.
Il va à la caméra pour juger de la pose de Mlle Delubac. Penché sur l’objectif, le capitaine au long cours a l’air d’un collégien guignant par la serrure la toilette de la femme de chambre.
Parfait, Jacquot.

On travaille. De nouveau assis, ou s’avançant un peu vers le champ du travail, le larbin épais aux vingt têtes bat de la main dans l’air, scandant pour lui-même les mouvements qu’exécutent les comédiens, pointe les doigts vers celui dont c’est le tour de réplique, cadence les paroles, repointe la main vers le coin de table dont l’acteur va s’approcher, puis vers la porte par où va entrer Arletty
C’est à vous, monsieur Guitry.
A moi ! dit-il avec une ampleur gouailleuse, puis va et vient sur le plateau, grave, cherchant son jeu corporel. Réapparition du cocher d’évêque et du maître d’hôtel. Mais les doigts du larbin, caressant l’espace, y dessinant les emplacements du personnage, et le personnage même, sont les doigts de Sacha Guitry.

Il répète. Par fragments insaisissables de secondes, le visage est celui du domestique compassé, du metteur en scène vigilant, de l’auteur rectifiant une réplique, et, simultanément au scénario qui s’enregistre ici, se déroule sur ce visage une kaléidoscopie psychique.

La scène est jouée. Détente. Plus de Désiré ni de metteur en scène, ni d’auteur. Le gavroche, qui est derrière le stylo auquel on doit cent comédies, court à travers tous ces importants personnages. Comme on va photographier sa scène, Sacha s’écarte violemment et crie à Mlle Delubac :
Je donne mes huit minutes à Madame !
Et comme une visiteuse vient le féliciter, il salue avec grâce et dit, gravement :
Pardonnez-moi si je ne vous reconnais pas sous mon maquillage.

André Arnyvelde

Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse

Pour agrémenter votre lecture, voici l’article écrit par Sacha Guitry (paru dans le quotidien Paris-Soir) à la sortie de Désiré à Paris.

Paris-Soir du 21 novembre 1937

Paris-Soir du 21 novembre 1937

« J’ai la livrée d’un valet mais je n’en ai pas l’âme » – A propos du film « DÉSIRÉ » par Sacha Guitry

paru dans Paris-Soir du 21 novembre 1937

Le plus beau compliment qui m’ait été adressé au sujet de cette pièce que je viens de porter à l’écran, est celui-ci :
Ma femme de chambre était venue la veille au théâtre et je dois avouer qu’elle ne semblait pas extrêmement enchantée de sa soirée, ou, disons plus exactement, qu’elle n’était pas extrêmement enchantée de se trouver justement au service de celui qui avait écrit cette pièce sur ce qu’on est convenu d’appeler « les gens de maison », car elle me dit simplement :
Ah çà ! mais monsieur écoute donc aux portes ?

Tant mieux, mon Dieu, si, dans cette comédie, je peux donner à ceux qu’elle met en scène cette impression que j’ai peut-être dit sur eux la vérité.

Cette peinture de leur existence, de leurs qualités et de leurs défauts ne leur est aucunement défavorable, dois-je le dire ? D’ailleurs, elle est écrite sur un ton qui la destine à l’agrément des spectateurs. J’ai voulu que cette œuvre fût une œuvre comique et je puis bien me permettre de dire que j’ai peut-être atteint mon but puisque des centaines de représentations en ont assuré la réussite.

Il est extrêmement désagréable d’avoir à parler des choses qu’on a faites. On ne peut pas en dire de mal. On ne peut pas en dire de bien. Cependant, lorsqu’une œuvre a déjà dix années d’existence, on n’est peut-être pas plus mal placé qu’un autre pour en dire quelques mots, car on n’est déjà plus l’homme que l’on était quand on l’avait conçue.

Et s’il me fallait résumer Désiré en quelques lignes et d’un seul trait, je dirais que c’est l’histoire d’un homme dont le physique, l’ascendance et la profession, précisément héréditaire, ne sont pas tout à fait en accord avec ses goûts et sa mentalité. Fils, petit-fils, arrière-petit-fils de domestiques, il éprouve à obéir une véritable volupté et d’ailleurs il le dit lui-même :
Servir, c’est, quelque chose de merveilleux. C’est avoir le droit d’être sans volonté.

Mais, hélas ! toute médaille a son revers et il n’a de goût réel que pour ses patronnes — et ce serait le drame de sa vie si je n’avais pas préféré en faire une comédie qui parfois même est une comédie-bouffe.

La dernière phrase qu’il prononce résume la question car cette constatation lui échappe, à la fin de l’aventure :
Le bon Dieu a dû me f. le cœur d’un autre, à moi, c’est pas possible.

Paris-Soir du 21 novembre 1937

Paris-Soir du 21 novembre 1937

La campagne de publicité très originale conçue pour la sortie de Désiré, paru dans Paris-Soir, Le Petit Parisien et Le Figaro.

Paris-Soir du 28 novembre 1937

Paris-Soir du 28 novembre 1937

 

Paris-Soir du 2 décembre 1937

Paris-Soir du 2 décembre 1937

 

Le Petit Parisien du 2 décembre 1937

Le Petit Parisien du 2 décembre 1937

 

Le Figaro du 3 décembre 1937

Le Figaro du 3 décembre 1937

 

Paris-Soir du 5 décembre 1937

Paris-Soir du 5 décembre 1937

 

Paris-Soir du 10 décembre 1937

Paris-Soir du 10 décembre 1937

 

Le Petit Parisien du 19 décembre 1937

Le Petit Parisien du 19 décembre 1937

 

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Photographie de Jacqueline Delubac dans Le Figaro du 22 novembre 1937.

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Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

 

Pour en savoir plus :

La page spéciale sur Désiré sur le site de Roberto Savia consacré à Sacha Guitry.

[youtube width=”420″ height=”315″]https://www.youtube.com/watch?v=PJ_zlLJiQ6w[/youtube]

Les trois premières minutes du film Désiré de Sacha Guitry avec son générique célèbre.

 

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