Jean Gabin, philosophe (Pour Vous 1932) 6 commentaires


Alors que la Cinémathèque française consacre un cycle Jean Gabin du 16 mars au 30 mai 2016, nous avons nous aussi décidé de mettre en ligne de nombreux articles et entretiens d’époque le concernant, d’autant que cette année est le 40°anniversaire de sa mort (le 15 novembre prochain).

En effet, nous considérons Jean Gabin comme le plus grand acteur français tout genre confondus.

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Il mérite bien que nous lui consacrons une large part sur ce site, lui qui a tant apporté au cinéma français tout au long d’une carrière riche en renouvellement durant plus d’une quarantaine d’années.

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Mais étant donné la période que nous nous sommes défini à La Belle Equipe (principalement l’entre-deux guerres), nous nous intéresserons dans les prochaines semaines au Gabin des années 30, période riche où le mythe Gabin se construit. Période au cours de laquelle beaucoup de ses films sont invisible aujourd’hui à l’image de La Belle Marinière de  Harry Lachman dont nous reproduisons la photographie illustrant cet article.

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Voici donc le premier article que lui consacre la revue Pour Vous à la fin de l’année 1932.

Il faut signaler qu’à cette époque, il vient de débuter au cinéma il y a peu et n’a pas encore eu le rôle principal dans un film majeur.

Pour Vous du 22 décembre 1932

Pour Vous du 22 décembre 1932

Jean  Gabin,  philosophe

paru dans Pour Vous du 22 décembre 1932

Comment vas-tu, ma vieille ? » s’écria Jean Gabin au téléphone.
Et comme je lui demandais un rendez-vous :
« Quand tu peux venir me voir ? Mais quand tu voudras, mon p’tit vieux. J’suis toujours là. Veux-tu demain ? »
Le lendemain, je retrouvai mon Gabin, que je n’avais pas vu depuis deux ans, douillettement installé dans un coquet appartement d’Auteuil, avec sa charmante femme et ses chiens, des amours. « Tu vois, me dit-il, je suis « peinard ». Jamais j’sors. J’vois personne. Quand j’suis ici, j’me fous d’tout. »
Et, désignant le sofa sur lequel je suis assis :
« Ça, me dit-il, c’est ma mort. Quand j’me couche là-d’ssus après dîner, j’oublie tous mes projets de sortie. J’roupille. Un porto ? »
Et Mme Gabin me sert un porto.
« Tout de même, reprend-il, je vais quelquefois au ciné ou au théâtre et plus souvent à la boxe. Je suis les matches de Thil. Tu penses, on a été marins ensemble. L’après-midi, quand je ne tourne pas, je vais faire de l’« assoc’ » ou du vélo. »

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Jean Gabin, enfant de Paris, est un sportif.
Du sportif — du vrai sportif — il a la franchise, la simplicité, la santé, la bonne humeur et le vocabulaire. C’est un garçon cordial et bon vivant qui cache son cœur sous un faux air bourru et son bonheur sous son front têtu.

Rapporter exactement un entretien avec Jean Gabin n’est pas possible. Car il ne sait pas faire de phrases. Il parle le langage de ceux pour qui un mot en vaut un autre et qui choisissent le plus coloré. Pour le moment, il attend son retour au studio.
« Je vais bientôt tourner Toto, un film nouveau de René Pujol, me dit-il. Et puis, j’ai plusieurs projets. Je lis des scénarios. J’en ai trouvé qui me plaisent et que je vais probablement tourner. »
Et la conversation va son petit bonhomme de chemin. Jean Gabin me parle du cinéma, du théâtre, du sport, de Cœur de Lilas et de la mort de la pauvre Marcelle Romée ; des Gaités de l’escadron, de La Belle Marinière.
Il m’explique comment, ayant été engagé pour être Sylvestre dans ce dernier film, il finit par jouer le rôle du « capitaine ». Il me donne sa méthode de travail :
« Je lis quelquefois des interviews de camarades qui parlent de leur « art », qui « composent » leur personnage. Moi j’ai pas d’art, j’compose pas. Je fais ce qu’on m’dit. Jamais j’travaille. J’arrive au studio sans connaître mon texte. J’l’apprends vivement en cinq minutes, avant d’tourner. Ça m’suffit. Deux jours avant la première prise de vue, je passe chez l’costumier prendre mes affaires, parce que tout d’même il ne faut pas exagérer. Mais jamais j’travaille mes rôles à l’avance. »

Et c’est peut-être parce qu’il ne s’appesantit pas sur son personnage, parce qu’il ne cherche pas à trop bien faire, qu’il atteint à tant de naturel et à tant d’humanité.

J’ai connu Jean Gabin lorsqu’il faisait son tour de chant au music-hall et jouait l’opérette. Il n’était pas, alors, question de cinéma. Il allait plein d’espoir et de courage sur les traces de son père qui achevait une carrière riche en brillantes créations et en beaux succès. Jadis, dans sa loge des Bouffes-Parisiens, le père Gabin me raconta ses débuts misérables et sa vie toujours pénible et laborieuse. Jean aura été plus heureux puisqu’il est arrivé plus vite et puisqu’il est, grâce au cinéma, plus célèbre.

Et je lui ai demandé s’il avait l’intention de reprendre son tour de chant.
« Oui, fit-il. J’aime le concert et j’y reviendrai. Mais pas maintenant. C’est encore trop tôt. Pour chanter au music-hall, il faudrait que je refuse les offres cinématographiques qui me sont offertes, et tu sais que le cinéma rapporte plus que le théâtre. Et puis, tu te doutes que, pour ma rentrée sur la scène, je voudrais faire quelque chose de très bien. Sans cela, ça ne vaudrait pas la peine. Seulement, pour mettre un tour de chant au point, il faut six mois. Il faut chercher des chansons, en entendre des tas pour en trouver une bonne, il faut les apprendre, les étudier, les essayer. Tout cela est très long. On m’a proposé aussi de jouer une opérette. Mais ça ne me tente pas encore non plus. Le cinéma m’accapare trop pour le moment et je ne suis pas encore assez « rupin » pour refuser du « fric ». Plus tard, on verra. »

Jean Gabin réfléchit un instant. Une idée le traverse :
« Il y a pourtant une chose qui m’irait, dit-il. C’est de créer une belle pièce dans un beau théâtre. Tu comprends, ce serait un luxe que j’me paierais, un cadeau que j’m’offrirais. Aussi faudrait qu’ce soit vraiment quelque chose de très bien. Un vermouth, maintenant ? »
Mme Gabin, souriante et jolie, me verse un vermouth.

Chez Jean Gabin, on se sent à l’aise, j’allais dire « chez soi ». Il est simple et charmant et, dans son langage à lui, il sait vous faire comprendre qu’on est entre amis et qu’on ne fait pas de manières avec les copains. C’est le « bon p’tit pote » — comme disait Maurice Chevalier en parlant de Pizella — le « bon p’tit pote » qui dit ce qu’il pense, qui vit à sa guise et qui ne s’occupe ni des autres, ni du qu’en dira-t-on. Il ne fait de mal à personne, il ne s’occupe pas des voisins, alors tout va bien. Le reste, ça ne regarde que lui. Et s’il y en a qui ne sont pas contents, qu’ils aillent  le dire « à dache ». C’est un philosophe, un philosophe heureux.

Didier  Daix

Pour Vous du 22 décembre 1932

Pour Vous du 22 décembre 1932

Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse

Pour en savoir plus :

La page consacrée au cycle Jean Gabin sur le site de la Cinémathèque française.

Le site du Musée Jean Gabin à Mériel.

[youtube width=”420″ height=”315″]https://www.youtube.com/watch?v=N7QugYlU4Qk[/youtube]

Jean Gabin en 1932 dans Coeur de Lilas chante La Môme Caoutchouc.


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6 commentaires sur “Jean Gabin, philosophe (Pour Vous 1932)

  • Claude Guilhem

    Mon père qui vénérait Gabin m’avait fait découvrir La Belle Equipe alors que je n’avais que huit ans, et j’ai toujours le refrain dans la tête…
    Cependant à cause de mon jeune âge il me fut très difficile ensuite d’établir une liaison avec l’acteur des années 1955 à1974; d’où peut être mon attachement à votre site.
    Pour cette année des 40 ans de sa mort, peut être accélérée par ceux qui l’ont rejeté ( hors cinéma ), j’ai commencé à projeter à la jeune génération de trentenaires qui m’entourent des films de sa période que, vu mes 70 ans, j’aime particulièrement.
    Dans le désordre, selon l’humeur nous avons vu sur grand écran en projection : Le Président – Le Chat – Des gens sans importance – Les Grandes Familles – Le clan des siciliens – Chiens perdus sans collier – Mélodie en sous-sol – Le Pacha.. Cela à seulement la fin février, et ils en redemandent ! Alors !!

    • philippe

      Super idée ces projections Mr Guilhem. Vous les faites dans le cadre d’un ciné-club ? Sinon bien sur le Gabin des années 50 et 60 est indépassable mais j’ai une tendresse pour celui des années 30, même dans des films mineurs comme “Pour Un soir ” de Jean Godard en 1933, il crève l’écran. A bientôt.

      • Claude Guilhem

        Le Cinéma tenant une immense place dans ma vie personnelle et professionnelle j’ai, bien avant la mode du “home cinéma”, eu l’envie, pour ne pas dire le besoin irrépressible , d’avoir une salle de projection privée. Elle a bien évolué avec le temps, et après les “projos” 35, puis 35 et 70 mm me voici arrivé à la projection HD numérique !
        C’est une fantaisie qui revient assez cher, mais avec la lecture, c’est mon seul véritable “vice” ; voila pourquoi dans la cabine une de ces machines silencieuses haut de gamme a pris la place des beaux mais bruyants “monstres mécaniques”.
        Certes l’odeur de la pellicule me manque un peu, mais puisqu’on n’est pas éternel, là encore : “il faut savoir tourner la page…” l j

        • Philippe M. Auteur de l’article

          Vous avez raison de vivre avec votre temps. La qualité de certaines restaurations numériques sont magnifiques. Par contre, gardez votre matériel et vos pellicules argentiques ! (Si j’avais la place j’aurais un projecteur 16mm avec quelques films en argentiques!).

          • Claude Guilhem

            J’ai effectivement gardé quelques chutes de “galettes argentiques” en 35, mais surtout 70 mm !
            Dans ce dernier format je fais le bonheur de quelques cinéphiles en leur envoyant en guise de cartes de vœux une dizaine de centimètres de film.
            Pour le reste projecteurs et cinémathèque j’ai dû les vendre faute de place. Mais je regrette surtout pour l’élégance des séances que le grand rideau électrique en velours devant l’écran ait rendu l’âme; cela avait comme autrefois dans les palaces : “de la gueule”.

  • Claude Guilhem

    Si c’est de Stéphane Pizella dont parle Didier Daix, sachez que 46 ans après sa disparition le grand homme de Radio qu’il fut a toujours de nombreux auditeurs nostalgiques de sa belle voix qui les emmenait visiter, entre autres, “Les Nuits du Bout du Monde”, sur France Inter.
    ( Voir pour s’en convaincre l’article qui lui est consacré sur WIKIPEDIA ).